La France parle à Moscou

Les jeux sont indiqués

Quant à la Conférence on doit se féliciter que chacun des quatre ministres ait précisé ses vues. Sans doute ne l'ont-ils fait qu'avec des précautions et leur pensée est-elle enrobée de bien des pelures. Néanmoins, on est dans le jeu. Pour comparer une fois de plus les Quatre à des bridgeurs, « on a fait l'annonce ». Certes, maintenant que les jeux sont un peu indiqués, on sent que le Conférence sera difficile. On aurait tort pourtant de conclure à son échec probable. Sans doute peut-on craindre une apparence d'accord qui se ferait sur une fausse solution. Telle serait sans doute pour nous la pire hypothèse. Mais il n'est pas exclu qu'on s'entende sur les données réelles du problème. C'est à rappeler celles-ci que s'attache en ce moment la délégation française.

Tel fut l'objet de l'exposé de Georges Bidault, qu'il n'avait pu donner hier. Toutefois, il ne l'a qu'à peine modifié entre temps. Nos alliés n'ont pas apporté d'argument assez probant pour que les positions françaises puissent changer.

Cet exposé a situé le problème dans ses termes exacts. Nous sommes d'accord avec les Anglais quand ils disent que l'Allemagne doit exporter de façon à se suffire à elle-même. Nous sommes d'accord avec les Russes lorsqu'ils réclament les réparations sur la production courante. Mais tous ces accords de principe sont subordonnés à cette situation de fait. Si on doit satisfaire les uns et les autres, le niveau industriel allemand devra être haussé jusqu'à atteindre  celui de 1938.

Hypothèse d'autant plus inquiétante que la force éventuelle de l'Allemagne doit être évaluée, si j'ose dire, en fonction de la faiblesse de ses voisins. Si la France, la Belgique et la Hollande bénéficiaient du potentiel industriel des États-Unis, nous n'aurions pas à nous préoccuper de la puissance allemande. Malheureusement il n'en est pas ainsi.

Voilà pourquoi la production de l'acier de l'Allemagne doit être limitée et voilà pourquoi le traité doit obliger ce pays à exporter une part importante de son charbon. Avec ce charbon exporté, les alliés produiraient de l'acier. L'Allemagne aussi devrait être strictement cantonnée dans la fabrication des produits manufacturés. Ceux-ci ne sont-ils pas ceux dont l'URSS a le plus besoin à titre de réparations ? D'autre part, leur prix élevé permettrait d'équilibrer la balance commerciale allemande beaucoup mieux que des exportations d'acier brut.

 

Question préalable de Georges Bidault :